Tribune parue dans Libération le 2 juillet 2024

Il y a tant de mauvaises nouvelles qu’on ne sait pas voir les bonnes. Les mauvaises, on sait. Dimanche prochain, l’extrême-droite française pourrait arriver au pouvoir. Même si ce n’était pas le cas, la deuxième puissance européenne risque d’être pour longtemps ingouvernable. L’Allemagne n’est pas en bien meilleure forme et c’est ainsi toute l’Union qui s’affaiblit au moment même où la guerre s’installe à sa frontière orientale tandis qu’un total chaos menace le Proche-Orient et que les Etats-Unis se détournent de l’Europe et de la Méditerranée pour se concentrer sur l’Asie et le défi chinois.

La plus puissante des démocraties devrait parallèlement avoir à choisir, en novembre, entre un ancien président imprévisible et un président sortant qui n’arrive plus à articuler. Europe et Etats-Unis, toutes les démocraties occidentales titubent aujourd’hui au point de sembler prêtes à tomber rôties dans la bouche de MM. Poutine et Xi mais on en est-on vraiment là ?

Non, absolument pas, et la première raison en est que les dictatures russe et chinoise ont d’immenses fragilités. La jeunesse chinoise connait un chômage de masse. Les meilleurs des jeunes diplômés russes ont choisi l’exil depuis le début de la guerre d’Ukraine. L’économie chinoise ne peut pas se passer du marché mondial et particulièrement pas des marchés occidentaux. L’économie russe parvient à contourner beaucoup des sanctions occidentales et à faire tourner ses industries d’armement. Sa croissance demeure solide mais la guerre absorbe une telle part du budget national que ce pays est en fait à bout de souffle.

L’Occident vacille mais, avec leurs pieds d’argile, les dictatures sont plus aptes aux guerres hybrides qu’aux guerres tout court et pour le reste…

Reprenons. La présidentielle américaine fait des Etats-Unis une puissance à la dérive, divisée, humiliée et profondément ridicule. Jamais l’Amérique n’avait connu un tel moment mais imaginons que Joe Biden finisse par se retirer de la course, qu’un jeune successeur, homme ou femme, prenne le relais, que sa simple entrée en scène frappe Trump d’obsolescence et que les Etats-Unis ouvrent alors une nouvelle page qui donnerait un sérieux coup de vieux aux présidents russe et chinois

Il n’y a pas là de certitude mais ce scénario n’est pas seulement possible. La nécessité le rend très plausible et de l’autre côté de l’Atlantique, les choses pourraient également moins mal évoluer qu’on ne le pense, voire même bien.

L’extrême-droite s’est enracinée en France comme elle a partout ressuscité mais elle a considérablement régressé entre les Européennes d’il y a trois semaines et le premier tour des législatives. Malgré le ralliement d’une partie de la droite elle ne réunit plus que 33% des voix contre 40%. Le Rassemblement national a perdu quelque 10 points, les gauche unies ne sont qu’à 5 points de lui et, bien que ravalés au troisième rang, les centres macronistes ont regagné là près de 6 points.

Cela signifie que les deux tiers de la France ne veulent pas de l’extrême-droite et qu’il y a une faible mais réelle chance que le parti de Mme Le Pen n’obtienne pas, le 7 juillet, la majorité absolue qui lui permettrait de gouverner. Rien n’est joué mais si les lepénistes restaient dans l’opposition, la droite, la gauche et le centre devraient apprendre l’art des contrats de gouvernement et des coalitions entre forces contraires.

Ce ne serait pas facile car cet art serait de l’art nouveau pour la France. Ce serait plus qu’incertain mais serait-il totalement impossible, nécessité faisant loi, que gauche, droite et centre définissent des priorités communes, dont le passage au scrutin proportionnel, et les mettent en application avant de nouvelles élections dans un an ?

Même si cela ne se fait pas, le seul fait qu’on commence à en débattre à Paris marque un changement d’époque, porteur d’une France nouvelle, plus semblable à ses partenaires européens, plus pragmatique et plus apte à la conclusion de compromis politiques. L’Allemagne pourrait, de son côté, retrouver une stabilité avec le retour au pouvoir d’une droite assez sûre d’elle-même pour favoriser la mue politique à l’Union aux côtés de la France, de la Pologne et de l’Italie, pour peu qu’elle le veuille.

Au bout du tunnel, il y a des lumières et puis…

Trois choses encore. Les Britanniques vont tourner le dos, jeudi, à huit années de populisme. Second tour et montée d’un réformateur, le déroulement de la présidentielle iranienne traduit l’impopularité de la théocratie et la force des aspirations populaires à la liberté. C’est d’autant plus réconfortant qu’un jeune quadragénaire, Magyar Péter, parait parvenir à organiser une opposition crédible en Hongrie, dans le berceau de l’illibéralisme.

La démocratie n’est pas morte.

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