Tribune parue dans Le Monde le 24 juin 2024

Il n’y a qu’un seul danger et pas deux. Le seul et unique danger qui menace aujourd’hui la France et l’Union européenne à travers elle, c’est le lepénisme, ce Rassemblement national qui pourrait réunir dimanche prochain, au premier tour des législatives anticipées, quelque 35% des voix, soit assez pour pouvoir l’emporter au second tour, le 7 juillet.

A droite, au centre et à gauche, beaucoup de Français ne seront pas d’accord. Mais que dire alors, protesteront-ils, de ce nouveau Front populaire, de cette alliance des gauches dont l’un des partis flirte si souvent avec l’antisémitisme, le décolonialisme et la haine de l’Occident et dont le programme économique se fonde sur l’idée qu’il suffirait de prendre aux riches pour assurer le bonheur universel ?

C’est vrai. Bien qu’il ait été avalisé par des gens parfaitement raisonnables, ce programme est effectivement déconcertant de dangereuses naïvetés. Les approches politiques de trop des figures de la France Insoumise sont, elles, simplement révoltantes mais cette union des gauches n’a pourtant rien d’un péril car elle n’a aucune chance d’obtenir la majorité absolue dans une France qui a tout autant glissé à droite que le reste du monde. La France n’est absolument pas prête à porter au pouvoir ce Front populaire qui ne survivrait au demeurant pas à sa propre victoire puisqu’il n’a pas d’autre ciment que le rejet de l’extrême-droite mais est-ce à dire que les jeux soient faits pour le Rassemblement national ?

Non, bien sûr. Rien n’est joué car la participation s’annonce si inhabituellement élevée que la droite, le centre et la gauche pourraient recueillir assez de suffrages pour que l’extrême-droite n’obtienne pas la majorité absolue sans laquelle, dit-elle, elle refuserait de gouverner. Le Rassemblement national est loin d’avoir gagné. Il peut encore perdre mais tant d’électeurs de droite pourraient, au second tour, préférer les lepénistes à la gauche ou au centre que sa victoire n’en est pas moins possible, voire probable.

On ne sait pas. On ne peut pas encore savoir mais la certitude est qu’il faudrait alors faire face à une double catastrophe.

Sur la scène intérieure, Jordan Bardella, le jeune homme dont Mme Le Pen veut faire un Premier ministre, aurait tant de fausses promesses sociales à faire oublier qu’il ne pourrait que tenter de briller dans la lutte contre l’immigration. Incapable de ramener l’âge de la retraite à 60 ans, il se lancerait dans une chasse aux immigrés clandestins dont l’arrestation mettrait mal en point l’économie française et provoquerait bien des drames inutiles. Dans l’incapacité de raser gratis alors que la dette française se monte à 3000 milliards d’euros, il démantèlerait la protection sociale en réduisant les charges pour séduire les petites et moyennes entreprises et donner l’illusion d’une augmentation des salaires. Pire encore, comme beaucoup de ses propositions se heurteraient à la loi, à la Constitution et au droit européen, il s’attaquerait aux tribunaux et à l’Etat de droit à coup de referendum.

Ni Mussolini ni Franco, ce n’est pas le fascisme d’antan qui menace mais l’illibéralisme à la Orban, une démocratie sans contre-pouvoirs ni presse libre et réduite à des consultations électorales faussées par la propagande d’Etat. Plus l’extrême-droite décevrait dans le domaine social, plus elle durcirait son exercice du pouvoir et parallèlement, sur la scène européenne, elle freinerait de toutes ses forces l’aide militaire et financière à l’Ukraine, le développement d’une Défense commune et l’affirmation de l’Union en acteur de la scène politique internationale.

Les lepénistes feraient en un mot tout ce qu’il ne faut pas faire au moment où les Etats-Unis se désengagent de l’Europe alors même que la guerre enflamme les frontières orientale et méridionale de l’Union. Cette extrême-droite ne doit pas prendre les commandes de la France. Il faut absolument l’éviter et c’est pour cela qu’il faut cesser de dénoncer les gauches unies comme un danger aussi grand que le lepénisme, systématiquement voter contre le Rassemblement national au second tour et ouvrir la voie d’une union nationale entre la social-démocratie, la droite et le centre.

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